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Amiante : le Conseil d’État assouplit la reconnaissance du préjudice d'anxiété

Public - Droit public général
Environnement & qualité - Environnement
30/03/2022
Dans un arrêt du 28 mars 2022, le Conseil d’état vient préciser sa jurisprudence en matière d’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à des poussières d’amiante. Il permet l’indemnisation de ce préjudice même lorsque les fonctions exercées par le requérant ne sont pas de nature à l’exposer à ce risque.
Le requérant avait exercé les fonctions de commis aux vivres sur des navires de la Marine nationale et demandait la condamnation de l’État à réparer son préjudice moral ainsi que des troubles dans ses conditions d’existence causés par son exposition à l’inhalation de poussières d’amiante sans moyen de protection fourni par l’employeur. Le tribunal administratif avait condamné l’État à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral. La ministre des armées se pourvoit en cassation contre l’arrêt ayant rejeté sa demande d’annulation du jugement.
 
Réparation du préjudice d’anxiété
 
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 28 mars 2022 à publier au recueil Lebon (CE, 28 mars 2022, n° 453378, Lebon), vient préciser dans quelles conditions une personne ayant été exposée à des poussières d’amiante peut obtenir réparation d’un préjudice d’anxiété, et permet l’indemnisation de ce préjudice pour une personne dont les fonctions n’impliquaient pas la manipulation de matériel amianté.
 
Il déclare ainsi qu’une personne « qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser ».
 
Pour cela, la personne doit établir « que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves ».
 
Le Conseil limite la preuve à apporter par le requérant. Celui-ci pourra obtenir l’indemnisation du préjudice « sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave ».
 
Personnes directement ou indirectement exposées à l’amiante
 
La Haute cour distingue deux catégories de personnes pouvant prétendre à l’indemnisation du préjudice d’anxiété au titre de leur exposition à l’amiante : celles directement exposées de par leurs fonctions, et celles exposées de façon moins directe, comme c’est le cas du requérant, qui exerçait des fonctions de commis aux vivres.
 
Elle déclare ainsi que « les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux » doivent être regardées comme faisant état d’éléments de nature à établir qu’elles ont été exposées à un risque « dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable ».
 
Mais c’est également le cas des marins qui « sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions et vécu, de nuit comme de jour, dans un espace clos et confiné comportant des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante ».
 
Exposition à un risque quelle que soit la nature des fonctions
 
Le Conseil annonce également que les personnes intégrées dans le dispositif d’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité, qui vise à compenser le risque des personnes exposées à l’amiante, doivent « être regardées comme justifiant de ce seul fait d’un préjudice d’anxiété lié à leur exposition à l’amiante ».
 
En l’espèce, la cour avait relevé que le requérant était susceptible d’avoir été exposé à des poussières d’amiante, puisque les marins travaillent dans un espace confiné dans lequel l’amiante est utilisée comme isolant, et que ce matériau est caractérisé par une « tendance à se déliter ». La cour avait également considéré que le requérant avait été exposé à l’inhalation de poussières d’amiante et donc « exposé à un risque élevé de développer une pathologie grave de nature à engendrer un préjudice d’anxiété indemnisable, alors même que ses fonctions de commis aux vivres n’étaient pas de nature, par elles-mêmes, à l’exposer à un tel risque ».
 
Préjudice d'anxiété lié à l'amiante

La reconnaissance du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante est le résultat de plusieurs jurisprudences. Dans un arrêt de 2004 (CE, ass., 3 mars 2004, n° 241152, Lebon), le Conseil a reconnu la carence fautive de l’État dans la prévention des risques liés à l’amiante. Dans un arrêt de 2016 (CE, 9 nov. 2016, n° 393108, Lebon), il a permis l’indemnisation du préjudice d’anxiété, nouvelle forme de préjudice moral. C’est ensuite dans un arrêt du 3 mars 2017 (CE, 3 mars 2017, n° 401395, Lebon) que la Haute cour a reconnu le préjudice d’anxiété des travailleurs exposés à l’amiante en annonçant « dès lors qu'un ouvrier d'État ayant exercé dans la construction navale a été intégré dans ce dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, compte tenu d'éléments personnels et circonstanciés tenant à des conditions de temps, de lieu et d'activité, il peut être regardé comme justifiant l'existence de préjudices tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ».
 
Indemnisation par le juge administratif :  
Indemnisation par le juge judiciaire :
Source : Actualités du droit