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Conventionnalité du barème Macron : la Cour de cassation valide sans réserve

Social - Contrat de travail et relations individuelles, Contrôle et contentieux
17/07/2019
Fin du suspens pour le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui vient de réussir son examen de passage devant la Cour de cassation. En réponse aux demandes d’avis des Conseils de prud’hommes de Louviers et Toulouse, la Cour a conclu, le 17 juillet 2019, à la compatibilité du barème avec les stipulations de l’article 10 de la Convention nº 158 de l’OIT. L’article 24 de la Charte sociale européenne est considéré comme dépourvu d’effet direct dans un litige entre particuliers. Enfin, l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme a été écarté du débat, les dispositions instituant le barème n’entrant pas dans son champ d’application.
Ce mercredi 17 juillet 2019, la Cour de cassation, réunie en formation plénière, s’est prononcée sur deux demandes d’avis transmises par les prud’hommes de Louviers et de Toulouse, posant la question de la compatibilité du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, issu des ordonnances Travail, avec le principe d’une réparation adéquate issu de l’article 10 de la convention nº 158 de l’OIT et de l’article 24 de la Charte sociale européenne, ainsi qu’avec le droit à un procès équitable protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme.
 
Recevabilité de la demande d’avis
 
La Cour de cassation a été conduite en premier lieu à faire évoluer sa jurisprudence qui, depuis 2002, considérait que la question de la compatibilité d’une disposition de droit interne avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ou avec d’autres normes internationales dont la convention nº 158 de l’OIT échappait à la procédure de demande d’avis (Cass. avis, 12 juillet 2017, nº 17-70.009). Dans ses avis du 17 juillet, la Cour de cassation décide désormais que « la compatibilité d’une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l’objet d’une demande d’avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l’analyse d’éléments de fait relevant de l’office du juge du fond ».
 
Conformité du barème à l’article 10 de la Convention nº 158 de l’OIT
 
Selon l’article 10 de la Convention nº 158 de l’OIT « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »
 
Première précision de la Cour de cassation, « Le terme “adéquat” doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation ». D’autre part, « En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l’article L.1235-3-1 du même code ». Il s’en déduit que « les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention nº 158 de l’OIT » (avis nº 15013). La Cour de cassation n’a émis aucune réserve s’agissant des salariés disposant d’une faible ancienneté : « les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention nº 158 de l’OIT » (avis nº 15012). L’Etat n’a fait qu’user de sa marge d’appréciation, souligne la note explicative jointe aux avis.
 
Absence d’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne
 
S’agissant de la compatibilité du barème avec l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, selon lequel « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…)le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée », la Cour de cassation a estimé que « Eu égard à l’importance de la marge d’appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l’article 24 de ladite Charte ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ». Elles ne peuvent donc être opposé par un salarié à un employeur de droit privé pour s’affranchir des règles de plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
 
Pas de mise en cause du droit à un procès-équitable (art. 6-1 de la CESDH)
 
Dans l’un des deux avis (nº 15012), la Cour a également estimé que « les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1de la convention européenne des droits de l’Homme ».
 
Test de conventionnalité réussi
 
Ces deux avis viennent ainsi clore le débat sur la conventionnalité du barème, dont bon nombre de conseils de prud’hommes avaient décidé de s’affranchir au motif de son incompatibilité avec les engagements internationaux de la France. Il est vrai que techniquement, les juges du fond ne sont pas tenus par l’avis rendu par la Cour de cassation, pas même les Conseils de prud’hommes de Louviers et Toulouse qui ont actionné cette procédure. Néanmoins, en cas de pourvoi, la Cour de cassation ne déviera pas de sa ligne et la cassation sera assurée. Les Cours d’appel de Paris et de Reims donneront le ton à la rentrée, puisqu’elles sont saisies d’affaires mettant en cause, dans les mêmes termes, la conventionnalité du barème. Leurs décisions sont annoncées pour le 25 septembre 2019 et il ne fait guère de doute que la position de la Cour de cassation sera suivie.
 
 
Source : Actualités du droit