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Décès d’un détenu toxicomane pendant sa détention : pas de responsabilité de l’État

Pénal - Peines et droit pénitentiaire
15/02/2019
Le 7 février 2019, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé que l’État grec n’était pas responsable du décès d’un toxicomane mort d’une overdose lors de sa détention.
Un détenu grec toxicomane, porteur de l’hépatite C et recevant un traitement de psychotropes durant sa détention, avait informé la directrice adjointe de la prison d’un trafic de stupéfiants ayant lieu dans l’établissement. Il avait été retrouvé mort le lendemain dans sa cellule, d’une overdose de produits psychotropes. Les requérants, huit membres de sa famille, portaient plainte contre l’État grec pour manquement à son obligation de protéger la vie du détenu lors de sa détention en invoquant devant la Cour européenne l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH).
 
La cour était donc amenée à se prononcer sur la responsabilité de l’État dans le décès d’un détenu toxicomane dont elle connaissait les antécédents, survenu juste après un signalement de sa part de trafics de stupéfiants ayant lieu dans l’établissement.
 
Manque de diligences dans la conduite de l’enquête

Concernant l’enquête diligentée par l’État, la Cour européenne juge que la durée (quatre ans et huit mois) de l’instruction tendant à déterminer les responsabilités et à décider d’un éventuel renvoi en jugement des personnes impliquées dans une affaire concernant le décès par overdose d’un détenu « ne correspond pas aux exigences de diligence et célérité pour qu’une enquête soit effective au sens de l’article 2 ».
 
Sur ce point, elle rappelle qu’une procédure ouverte devant les juridictions nationales « doit respecter l’obligation positive de protéger juridiquement le droit à la vie », et que « les juridictions nationales ne doivent en aucun cas se montrer disposées à laisser impunies des atteintes à la vie ». En l’espèce, elle juge que le traitement de l’affaire par les autorités nationales n’a pas fait l’objet un « examen scrupuleux » conforme aux exigences d’enquête effective exigées par l’article 2. En effet, le tribunal correctionnel en charge du dossier n’a pas cité à comparaître certaines personnes « dont la déposition pouvait être déterminante pour l’issue de l’affaire » (notamment d’autres détenus, l’expert ayant effectué l’examen toxicologique du défunt et les agents pénitentiaires qui avaient distribué les médicaments les jours précédant le décès). De plus, la cour relève qu’après l’enquête préliminaire ordonnée par le procureur afin de révéler une éventuelle responsabilité de la directrice adjointe de la prison, aucun acte de procédure n’a été accompli et l’affaire a été classée sans motifs.
 
Pas de responsabilité de l’État dans le décès

Sur le volet matériel de l’article 2, la Cour européenne retient que « les autorités pénitentiaires ne disposaient pas d’éléments suffisants pouvant les amener à croire qu’à la veille de son décès, (le requérant) se trouvait dans une situation de danger particulier et qu’il encourait, par rapport à tout autre détenu toxicomane, un risque potentiellement plus élevé d’en subir des conséquences mortelles ». À ce titre, elle retient plusieurs éléments. D’abord, le médecin de la prison qui avait augmenté la dose de médicaments dans le traitement du prisonnier l’avait fait après consultation de l’Organisme de lutte contre les stupéfiants et du médecin généraliste du détenu. Ensuite, concernant le manque de réaction de la directrice adjointe après le signalement de trafic de stupéfiants, celui-ci était justifié par l’heure tardive du signalement et le manque de personnel à ce moment pour fouiller les cellules. La cour relève par ailleurs que cette fouille, survenue le lendemain matin, « n’a cependant pas révélé l’existence de stupéfiants ». Enfin, aucun élément porté au dossier ne prouvait que le détenu avait consommé la veille de son décès « des stupéfiants dont la présence dans la prison était bien connue des autorités ».
 
Par conséquent, la cour juge que les éléments apportés « ne permettent pas d’établir la responsabilité de l’État quant au décès en cause ».
 
Une position constante

Cette décision poursuit la ligne jurisprudentielle de la CEDH concernant l’obligation positive des État de veiller à ce que « la santé et le bien-être du prisonnier » soient assurés « de manière adéquate », examinée par exemple sous l’angle de l’article 3 de la Convention (interdiction de la torture) en 2000 (CEDH, 26 oct. 2000, req. 30210/96, K. c/ Pologne, § 94 ; CEDH, 11 juill. 2006, req. 33834/03, R. c/ France, § 62 ; CEDH, 8 avr. 2014, req. 29100/07, M. et autres c/ Italie, § 42), ainsi que de « dispenser avec diligence des soins médicaux, lorsque l’état de santé de la personne le nécessite, afin de prévenir une issue fatale » (CEDH, 7 févr. 2006, req. 41773/98, S.-H. et autres c/ Suisse, § 65 ; CEDH, 14 févr. 2017, req. 15980/12, M. c/ Russie, § 69).

Plus particulièrement et comme le rappelle la Cour à l’occasion de cette affaire, il découle de ses décisions antérieures « que les autorités, afin de protéger la santé et la vie des citoyens, étaient tenues d’adopter des mesures pour contrer le trafic de drogue, et ce à plus forte raison lorsque ce fléau a lieu ou pourrait avoir lieu dans un endroit sécurisé, tel qu’une prison ». Toutefois, les autorités ne sont liées à cet égard que « par une obligation de moyens et non de résultat » (CEDH, 8 avr. 2014, req. 29100/07, M. et autres c/ Italie, précitée, § 45).
Source : Actualités du droit