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TIG : le décret tant attendu publié

Pénal - Peines et droit pénitentiaire
22/01/2020
Le décret de mise en œuvre de l’expérimentation du travail d’intérêt général dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire et les sociétés à mission a été publié au Journal officiel. Retour sur ces nouvelles dispositions.
Pris pour l’application de l’article 71 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le décret relatif à l’expérimentation du travail d’intérêt général (TIG) dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire et les sociétés à mission a été publié (D. 2019-1462, 26 déc. 2019, JO 28 déc.). Son objectif : la mise en œuvre d’une expérimentation permettant à ces entreprises et sociétés d’accueillir des personnes placées sous-main de justice, astreintes à un TIG.
 
Il a été complété par un arrêté fixant la liste des départements concernés, le 21 janvier 2020 (Arr. NOR : JUSK2000571A, 20 janv. 2020, JO 21 janv.).
 
Le TIG, une peine alternative à l’emprisonnement
Pour rappel, le TIG a été institué par la loi du 10 juin 1983 (L. n° 83-466, 10 juin 1983, JO 11 juin). Peine alternative à l’incarcération, il impose à une personne majeure ou mineure à partir de 16 ans, ayant commis un délit ou une contravention de cinquième classe, de travailler de manière non rémunérée au sein d’une structure. Il peut s’agir d’une association, une collectivité publique, un établissement public, une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, et dorénavant et de manière expérimentale, d’une entreprise de l’économie sociale et solidaire et d’une société à mission.
 
Comme le rappelle le ministère de la Justice , trois objectifs sont à retenir pour le TIG :
  • sanctionner en faisant effectuer au condamné une activité au profit de la société ;
  • éviter la prononciation d’une peine d’emprisonnement de courte durée ;
  • impliquer la collectivité dans un dispositif de réinsertion sociale des condamnés.
Sa durée varie en fonction de la nature de l’infraction. Il sera de 20 à 120 heures pour les contraventions et jusqu’à 400 heures pour les délits (durée modifiée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice).
 
Objectif : passer de 18 000 à 30 000 offres de TIG en 2022
Pour autant, le Président de la République et la Chancellerie constataient une trop faible représentation des TIG dans les peines prononcées. Pour ces raisons, l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous-main de justice a été créée par décret (D. n° 2018-1098, 7 déc. 2018, JO 10 déc.) le 7 décembre 2018 (v. Feu vert pour l’Agence du travail d'intérêt général, Actualités du droit, 10 déc. 2018).
 
Un an plus tard, Nicole Belloubet signait un accord-cadre avec 34 partenaires nationaux et des ministères pour accueillir des personnes devant réaliser un TIG. L’objectif : passer de 18 000 à 30 000 postes à fin 2022. Elle affirmait que le palais de l’Élysée lui-même accueillerait des TIG dès 2020.
 
Le 20 janvier 2020 encore, lors de la Vendôme Tech, la ministre de la justice affirme que « les TIG, s’ils ont prononcé en plus grand nombre, sont un des moyens de transformer la politique des peines ».
 
Une nouvelle expérimentation
Côté législatif, la loi de programmation 2019-222 et de réforme pour la justice prévoyait dans son article 71, à titre expérimental, la possibilité qu’un TIG soit effectué :
  • « au profit d'une personne morale de droit privé remplissant les conditions définies à l'article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire et poursuivant un but d'utilité sociale au sens de l'article 2 de la même loi ;
  • au profit d'une société dont les statuts définissent une mission qui assigne à la société la poursuite d'objectifs sociaux et environnementaux ».
Le décret est venu préciser ces nouvelles dispositions. Concrètement, cette expérimentation « vise à favoriser la création de postes de travail d’intérêt général là où il en manque et à permettre une diversification des postes existants » souligne la notice du décret.
 
Les personnes morales concernées par l’expérimentation
Ainsi, trois catégories de personnes morales de droit privé sont concernées par l’expérimentation. Chacune, souhaitant obtenir l’habilitation devra « faire la demande au juge de l’application des peines du ressort dans lequel elles envisagent de mettre en œuvre des travaux d’intérêt général ».
 
Les personnes morales de droit privé mentionnées au 1° du II de l’article 1er de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, exceptées les associations, et poursuivant un but d’utilité sociale au sens de l’article 2 de la même loi. Il s’agit donc des personnes morales de droit privé constituées sous la forme de coopératives, de mutuelles ou d’union, de sociétés d’assurance mutuelles et fondations qui poursuivent au moins l’un des objectifs suivants :
  • apporter, à travers leur activité, un soutien à des personnes en situation de fragilité (au regard de leur situation économique, sociale ou de leur situation personnelle), pouvant être des salariés, usagers, clients, membres ou bénéficiaires de cette entreprise ;
  • contribuer à la lutte contre les exclusions et inégalités sanitaires, sociales, économiques et culturelles, à l’éducation à la citoyenneté, à la préservation et au développement du lien social ou au maintien et renforcement de la cohésion territoriale ;
  • concourent au développement durable dans ses dimensions économique, sociale, environnementale et participative, à la transition énergétique ou à la solidarité internationale (sous réserve que l’activité est liée à l’un des deux objectifs précités).
Pour la demande d’habilitation, devront apparaître :
  • la copie des statuts de la personne morale ;
  • un exposé pour expliquer de quelle manière leur objet social satisfait à titre principal l’un des objectifs précités ;
  • une copie des comptes annuels du dernier exercice. 

Les sociétés commerciales mentionnées au 2° du II du même article, soient celles qui, aux termes de leurs statuts :
  • ont un but autre que le seul partage des bénéfices ;
  • ont une gouvernance démocratique encadrée, prévoyant l’information et la participation, dont l’expression n’est pas seulement liée à l’apport en capital ou au montant de la contribution financière, des associés, salariés et parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ;
  • et qui ont une gestion se conformant aux principes selon lesquels les bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou développement de l’activité de l’entreprise et les réserves obligatoires constituées sont impartageables et ne peuvent être distribués.
La demande d’habilitation devra comporter :
  • la copie des statuts de la personne morale ;
  • un extrait du registre du commerce et des sociétés datant de moins de trois mois, avec la qualité d’entreprise de l’économie sociale et solidaire mentionnée ;
  • une copie des comptes annuels du dernier exercice.
 
Les sociétés remplissant les conditions prévues à l’article L. 210-10 du Code de commerce, introduit par la loi PACTE (L. n° 2019-486, 22 mai 2019, JO 23 mai). Les sociétés doivent avoir :
  • des statuts précisant une raison d’être, selon l’article 1835 du Code civil,
  • précisant un ou plusieurs objectifs sociaux et environnements à poursuivre dans le cadre de l’activité ;
  • précisant les modalités du suivi de l’exécution de cette mission, d’ailleurs un comité de mission sera chargé de ce suivi et devra présenter tous les ans un rapport ;
  • des objectifs sociaux et environnementaux doivent faire l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant ;
  • et la société doit déclarer sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce.
 
Les sociétés à mission devront transmettre :
  • la copie des statuts de la personne morale ;
  • un extrait du registre du commerce et des sociétés datant de moins de trois mois, avec la qualité d’entreprise de l’économie sociale et solidaire mentionnée ;
  • le dernier rapport annuel du comité à mission chargé du suivi de l’exécution de la mission sociale ou environnementale joint à celui d’un organisme tiers indépendant.
 
Le juge de l’application des peines devra être informé de toute modification de l’un de ces éléments et les entreprises ou sociétés devront transmettre tous les ans, leurs comptes annuels.
 
Principe : le juge de l’application des peines statue sur l’habilitation
Pour faire droit à la demande, ou non, le juge de l’application des peines pourra procéder « à toutes diligences qu’il juge utiles » avant de transmettre la demande au procureur de la République. Il peut consulter le conseil départemental de prévention de la délinquance et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes, qui aura alors un délai de deux mois pour donner son avis.
 
Le juge statuera après avis du procureur de la République ou dans un délai d’un mois après la transmission de la demande. S’il y fait droit, l’habilitation est accordée dans le délai de trois ans
 
L’habilitation peut aussi, par dérogation, être délivrée par le ministre de la Justice lorsque la personne morale de droit privé exerce ou a vocation à recevoir des personnes condamnées à exécuter un TIG.
 
Un retrait de l’habilitation possible
Le décret précise que le président du tribunal judiciaire ou le procureur de la République pourra saisir l’assemblée générale des magistrats du siège ou du parquet ou la commission restreinte pour retirer l’habilitation accordée à la personne morale de droit privé. Néanmoins, en cas d’urgence, le juge de l’application des peines pourra, sur proposition ou après avis conforme du procureur de la République, retirer provisoirement l’habilitation jusqu’à ce qu’une assemblée générale ou commission restreinte rende sa décision.
 
À noter que chaque habilitation ou retrait devra être porté à la connaissance de l’Agence nationale du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle.
 
L’activité des condamnés à la peine de TIG
Pour l’activité des condamnés à la peine de TIG, prévue par l’article 131-36 du Code pénal, le décret vient préciser que les personnes morales de droit privé concernées devront faire la demande au juge de l’application des peines, en plus de la demande d’habilitation si elle n’a pas été faite. Il faudra accompagner d’une note indiquant « la nature et les modalités d’exécution des travaux proposés, les nom, prénoms, date et lieu de naissance et qualité des personnes chargées de l’encadrement technique ainsi que le nombre de postes de travail susceptibles d’être offerts ».
 
Après avoir procéder à toutes les diligences et consultations utiles, l’avis du procureur de la République, ou à défaut dix jours après l’avoir saisi, le juge de l’application des peines prend sa décision en prenant en compte l’utilité sociale des travaux proposés et perspectives d’insertion sociale ou professionnelles offerts aux condamnés.
 
Et pour les mineurs ?
Concernant les condamnés mineurs, le juge des enfants exerce les fonctions du juge de l’application des peines. Néanmoins, il devra, pour statuer, consulter la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse et veillera à ce que les TIG soient adaptés aux mineurs et présentent un caractère formateur ou de nature à favoriser l’insertion sociale des jeunes condamnés.
 
Le suivi de l’expérimentation
Chaque année, les personnes morales de droit privées concernées devront remettre un rapport au juge de l’application des peines et à l’agence du travail d’intérêt générale et de l’insertion professionnelle appréciant notamment « la conformité du contenu pédagogique de ces travaux à la finalité d’utilité sociale des missions qu’elles poursuivent ».
 
L’agence du TIG elle, va assurer le suivi de l’expérimentation et accompagnera les juridictions, services pénitentiaires d’insertion et de probation ainsi que les services de la protection de la jeunesse des départements déterminés par l’arrêté du 20 janvier fixant la liste, à savoir : les Alpes-Maritimes (06), les Bouches-du-Rhône (13), Côte-d'Or (21), Haute-Garonne (31),  Gironde (33), l'Hérault (34), Ille-et-Vilaine (35), Indre-et-Loire (37), Isère (38), Loire-Atlantique (44), Moselle (57), Nord (59), Pas-de-Calais (62), Bas-Rhin (67), Rhône (69), la Sarthe (72), Paris (75), Hauts-de-Seine (92), Seine-Saint-Denis (93) et La Réunion (974).
 
Un rapport d’évaluation attendu
Un comité d’évaluation, qui sera désigné par arrêté, sera chargé de réaliser un rapport d’évaluation permettant de mesurer les effets de l’expérimentation dans les territoires choisis. Il devra :
  • indiquer le nombre de postes de TIG créés ;
  • apprécier la conformité des modalités d’habilitation des personnes morales de droit privé pour garantir la conformité du contenu des postes au but d’utilité sociale ;
  • analyser le contenu des postes, leur positionnement dans l’entreprise ou la société et apprécier l’intérêt au regard des objectifs de réinsertion et de prévention de la récidive ;
  • apprécier la pertinence des modalités d’accompagnement ;
  • évaluer les incidences de l’expérimentation sur le fonctionnement et l’organisation des entreprises et sociétés ;
  • apprécier les conditions de déroulement de l’expérimentation ;
  • et émettre des propositions et recommandations utiles.
« Au vu de ce rapport, le ministre chargé de la Justice propose de généraliser tout ou partie de l’expérimentation, de la prolonger, d’y mettre fin » précise le décret.
 
Le décret est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 29 décembre 2019.
 
Une nouvelle plateforme numérique consacrée au TIG
Une plateforme numérique dédiée au TIG (appelée TIG 360°) permettra à terme de faciliter la prospection de structures d’accueils, le prononcé de la peine d’intérêt général mais aussi la gestion opérationnelle des TIG. Une plateforme qui comprend plusieurs volets, précisait la garde des Sceaux lors de la Vendôme Tech le 20 janvier dernier, « magistrat pour le prononcé de la peine, avocat pour lui permettre d’accéder aux offres de TIG, TIGistes pour suivre l’exécution de cette mesure ».
 
Tout en précisant que « le but, au-delà de cette construction, est l’accroissement du nombre d’offres de TIG et la qualité de la prestations rendus possibles par la plateforme ». L’ouverture de services destinés aux différents acteurs devrait avoir lieu successivement au cours de l’année 2020.
 
Source : Actualités du droit