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Filmer les audiences : le débat est relancé

Pénal - Vie judiciaire
29/09/2020
Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, a annoncé vouloir travailler sur la question de l’enregistrement audiovisuel des audiences. L’occasion de revenir sur ce qui est, ou non, prévu par la loi.
La publicité de la Justice est un principe fondamental. Toute personne peut assister aux audiences devant les juridictions civiles, pénales et administratives. Des exceptions sont prévues, et les débats peuvent se tenir à huis clos ou en chambre du conseil notamment lorsque la moralité, l’ordre public ou la sécurité nationale sont en cause, lorsque les intérêts des mineurs, la protection de la vie privée ou encore le secret des affaires l’exigent mais également lorsque la publicité peut porter atteinte aux intérêts de la justice.
 
Au-delà de ces exceptions, le garde des Sceaux note néanmoins que « cette publicité est restreinte » puisque certaines personnes ne peuvent pas suivre les procès, notamment en raison des places limitées des salles d’audiences. Il a alors affirmé dans une vidéo, partagée sur les réseaux sociaux le 28 septembre, « Moi je souhaite que les audiences soient filmées et que les procès soient diffusés » (Facebook, 28 septembre 2020).
 
Pour lui, cela permettrait notamment de savoir :
- comment plaident les avocats ? 
- comment requièrent les procureurs ? 
- comment jugent les juges ?
- comment les experts rendent compte de leur travail ?
- ou encore comment les policiers rendent compte de leurs enquêtes ?
 
« La justice doit se montrer aux Français. La publicité des débats est une garantie démocratique » a-t-il affirmé dans une interview (Le Parisien, 27 sept. 2020). 
 
 
Beaucoup de questions sans réponse
« Il faut que l’on travaille sur cette question » affirme le garde des Sceaux. Parce que de nombreuses questions se posent : quelles audiences ?, comment respecter la vie privée des parties ?, la présomption d’innocence ?, la sérénité des débats ?, comment le financer ?, comment stocker les images ?, etc.
 
Notons d’ailleurs que le Conseil constitutionnel a confirmé l’interdiction de procéder à la captation d’images et d’enregistrements lors de procès estimant que cette mesure était nécessaire pour garantir la sérénité des débats et prévenir toute atteinte à la vie privée (Cons. const., 6 déc. 2019, n° 2019-817 QPC, v. L’interdiction de prises d’images et de sons en audience confirmée par le Conseil constitutionnel, Actualités du droit, 6 déc. 2019).
 
Même son de cloche du côté de la Cour de cassation qui a jugé que l’interdiction de prise d’images et de sons pendant les audiences était nécessaire à la manifestation de la vérité et contribue à l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire (Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-81.769, P+B+I, v. Prise d'images et de sons pendant les audiences : une interdiction nécessaire pour la Cour de cassation, Actualités du droit, 21 avr. 2020).
 

Des règles strictes
Le droit est clair. Aucune équivoque dans l’article 38 ter de la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit que « Dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit ». Mais cette loi permet néanmoins au président d’autoriser des prises de vues quand les débats n’ont pas commencé et si les parties et le Ministère public y consentent.
 
L’article 308 du Code de procédure pénale vient compléter la loi de 1881 et précise que « Dès l'ouverture de l'audience, l'emploi de tout appareil d'enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra de télévision ou de cinéma, d'appareils photographiques est interdit ». Des exceptions sont prévues, à savoir :
- les débats de la cour d'assises font l'objet d'un enregistrement sonore sous le contrôle du président lorsque la cour d'assises statue en appel, sauf renonciation expresse de l'ensemble des accusés ;
- lorsque la cour d'assises statue en premier ressort, le président peut, d'office ou à la demande du ministère public ou des parties, ordonner cet enregistrement ;
- ou le président peut également, à la demande de la victime ou de la partie civile, ordonner que l'audition ou la déposition de ces dernières fassent l'objet, dans les mêmes conditions, d'un enregistrement audiovisuel.
 
 
Une exception à dimension historique
Les principes et interdictions sont donc clairs. Néanmoins, à l’approche du procès de Klaus Barbie, accusé de crimes contre l’humanité, Robert Badinter, alors garde des Sceaux, souhaite un « enregistrement historique » du procès. « Celui qu'on filmera, qu'on enregistrera, qu'on gardera accessible pour les historiens » affirmait-il (Ina). Mais l’ancien garde des Sceaux préfère éviter une « justice spectacle » précisant que la Justice a besoin de « sérénité » (Ina, 27 nov. 1994).
 
La loi Badinter sur la constitution d’archives audiovisuelles de la justice est alors promulguée le 11 juillet 1985. Elle autorise l’enregistrement audiovisuel ou sonore de l’intégralité des débats lorsque l’enregistrement présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice.
 
Ainsi, les articles L. 221-1 et suivants du Code du patrimoine permettent l’enregistrement sonore et visuel de procès en vue de la constitution d’archives historiques de la justice. Mais ces captations sont toujours interdites pour les journalistes.
 
Depuis pas moins de 13 procès ont été filmés : Klaus Barbie, Paul Touvier, Maurice Papon, le procès de l’explosion de l’usine AZF et actuellement le procès Charlie Hebdo.
 
 
L’introduction des nouvelles technologies dans le fonctionnement de la Justice
Notons cependant que les nouvelles technologies s’introduisent de plus en plus dans le fonctionnement de la Justice notamment avec les audiences en visio-conférence mais aussi la couverture des audiences sur Twitter avec les live-tweets d’audience.
 
Toujours dans une volonté de rapprocher le citoyen, la diffusion générale des jugements est également prévue depuis la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui a prévu « L’open data » des décisions judiciaires. Le décret d’application ayant été publié le 30 juin 2020 (v. Open data : plus de questions que de réponses ?, Actualités du droit, 1 juill. 2020).
 
 
Un travail de réflexion en cours
Pour l’heure, le ministre n’a pas encore détaillé son projet quant à l’assouplissement du cadre légal de la captation vidéo des audiences. Mais le travail est lancé à la Chancellerie.
 
Le ministre de la Justice a néanmoins présenté le budget alloué à la justice pour 2021 : 8,2 milliards d’euros, soit une hausse de 8 % par rapport à 2020 (v. PLF 2021 : un budget historique pour la Justice, Actualités du droit, 29 sept. 2020). 158 millions d’euros seront investis dans la mise en œuvre du plan de transformation numérique en faveur d’une justice plus efficace et mieux accessible.
 
Source : Actualités du droit